Rencontre exceptionnelle avec les derniers gorilles des montagnes au cœur de la forêt du Congo

Durant mes nombreux voyages, j’ai vécu des expériences uniques : traverser l’Amérique du Sud, nager avec les baleines, vivre en immersion avec des Amérindiens, franchir la ligne de changement de date. Mais peu de ces expériences ne fut aussi intense que ma rencontre avec les gorilles des montagnes en totale liberté. Je vous conte ainsi cette expérience qui m’a marqué à jamais.

RDC Gorille dos argente

Plus grand pays d’Afrique, la République démocratique du Congo a pour capitale Kinshasa. Si le pays a la réputation d’être difficile d’accès et sa demande de visa, une des plus compliquées au monde à obtenir, une possibilité est offerte au travers d’un visa temporaire accessible aux visiteurs de sa partie Est, dans le secteur de Goma qui comprend deux des parcs les plus intéressants du continent : le parc Nyiragongo qui permet pour 250 dollars US de grimper au sommet du volcan éponyme le plus actif d’Afrique et le parc Virunga qui permet de faire la rencontre des derniers gorilles des montagnes de la planète.

Étant donné que j’effectuais un voyage en Ouganda et au Rwanda, il était pour moi impossible de ne pas visiter le Congo et découvrir les trésors qu’il propose.

Pour obtenir ce visa facilité, j’ai ainsi contacté une agence locale : Go Congo qui m’a réservé une visite du volcan Nyiragongo et des gorilles du parc Virunga ; l’accord d’obtention du visa fut confirmé par mail par l’agence et je pus le récupérer au poste frontière terrestre de la ville de Goma lors de mon entrée dans le pays.

Le prix de l’entrée du permis de visite des gorilles se paye 400 dollars US, mais une promotion spéciale me permis d’obtenir une réduction de 50 % (au Rwanda, le permis gorille se négocie aux alentours de 800 à 1000 dollars, un peu moins en Ouganda). 

Pour ceux qui souhaitent découvrir la République démocratique du Congo de manière plus approfondie, n’hésitez pas à vous rendre sur le lien suivant : https://hors-frontieres.fr/recits-de-voyage-republique-democratique-du-congo/ qui présente de manière photographique, notre séjour dans le pays.

Le parc Virunga

Inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco et situé à l’Est de la république démocratique du Congo, à la frontière avec le Rwanda et l’Ouganda au travers de son parc Rwindi, le parc Virunga est la zone protégée qui abrite la plus grande diversité biologique du continent Africain : 218 espèces de mammifères, 706 espèces d’oiseaux, 109 espèces de reptiles, 78 espèces d’amphibiens et 22 espèces de primates dont 3 grands singes : le gorille des montagnes, le gorille des plaines orientales et le chimpanzé de l’est.

Le parc a été fondé en 1925 sous le nom du prince Albert. Premier parc à voir le jour en Afrique, il a été établi pour protéger les gorilles des montagnes vivant dans les forêts du massif des Virunga. Il a été agrandi progressivement.

Du fait du braconnage et des conditions difficiles de vie sur place, quelques 700 rangers armés patrouillent dans le parc pour protéger les gorilles des montagnes dont il ne reste que 1000 membres. Mais il faut savoir que l’espèce dont la phase d’extinction est considérée comme critique a connu des pics annuels où le nombre de membres restant vivants n’était plus considéré comme viable pour l’espèce. Ce n’est qu’après un formidable travail des conservateurs du parc que le nombre a pu passer de 274 membres en 1971à 324 en 1989, 380 en 2003, 786 en 2010, 880 en 2017 et près de 1000 en 2018.

Le parc est situé au centre du Rift Albertin en comporte 7800 kilomètres carrés découpés en 3 secteurs : Nord, Centre et Sud. Il s’étend du massif des Virunga au Sud jusqu’aux montagnes Rwenzori au Nord.

Tandis que le secteur Nord est caractérisé par ses forêts alpines et ses pics enneigés, le secteur central est situé autour du lac Edward et des plaines de Rwindi. Le Sud qui nous intéresse est quant à lui connu pour ses forêts de montagne et les flancs de son volcan dormant : le Mikeno.

Les permis permettant de visiter les gorilles peuvent s’acheter directement sur le site du parc des Virunga. Pour les intéressés, il convient de se rendre sur le lien suivant : https://virunga.org/fr

RDC Agricultrice

Un territoire dangereux

Considéré par la majeure partie des gouvernements de la planète comme un territoire dangereux, l’Est Congo est en réalité tout à fait ouvert à la découverte en relative sécurité en se faisant accompagner par une agence locale. Néanmoins, sur place sont présents plus de 70 groupes armés en faction et provenant pour la plupart du Rwanda voisin.

L’un d’entre eux, le plus virulent : le Front démocratique de libération du Rwanda (FDLR) est un groupe de rebelles hutus rwandais réfugiés en RDC, dont certains des fondateurs, au début des années 2000, ont participé plusieurs années plus tôt au génocide contre les Tutsis en 1994. Poursuivis dans leur pays, ses membres tentent de déstabiliser le gouvernement congolais en intensifiant les attaques contre les forces vives du pays pour tenter de galvaniser de nouvelles recrues et en fin de parcours, essayer de reconquérir le Rwanda.

Les Virunga n’échappent pas à cette violence. Depuis 20 ans, 176 rangers sont tombés dans cette réserve naturelle. La dernière attaque contre les rangers qui protègent le territoire des attaques des braconniers date de mars 2020, attaque au cours de laquelle près de 20 personnes ont perdu la vie.

Selon l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), le parc est directement menacé par la « production illégale de charbon de bois », le « braconnage des grands mammifères, notamment l’hippopotame », la « pêche clandestine », la « présence des groupes armés » et l’« envahissement par des creuseurs clandestins de minerais ».

RDC Fermiers

Différences entre les gorilles des plaines et gorilles des montagnes

Sur l’arbre de la phylogénie, les grands singes dont les gorilles font parties de la branche des hominidés. Aujourd’hui, l’espèce est grandement menacée d’extinction, une menace essentiellement due au braconnage et à la disparition de son habitat.

Il reste ainsi aux environs de 110 000 gorilles de par le monde, dont seulement 1100 gorilles des montagnes. Le parc Virunga et son extension en Ouganda en comportent le tiers, soit près de 400.

Mais dans les faits, quelles sont les différences entre les gorilles des plaines et des montagnes ?

Il y a peu de différences évidentes dans l’apparence physique entre les espèces de gorilles. Les gorilles des montagnes ont une toison plus développée sur la tête que les autres sous-espèces, tandis que le gorille des plaines a un pelage marron et non noir sur la tête ; le gorille des montagnes a également un visage plus long et une poitrine plus large que le gorille des plaines.

L’espèce des gorilles présente un dimorphisme sexuel. Les mâles pèsent jusqu’à 180 kilos (en milieu naturel) et 230 kilos en captivité et mesurent en moyenne 1,70 mètres, tandis que les femelles pèsent entre 72 et 98 kilos (et mesurent en moyenne 1,50 mètres). La force d’un gorille adulte équivaut de 4 à 9 fois celle d’un humain adulte de bonne constitution.

En raison de leur séparation géographique importante : environ 750 kilomètres, les gorilles des plaines et des montagnes vivent dans des habitats différents. Les gorilles des montagnes vivent aux altitudes les plus hautes, de 2 200 à 4 000 mètres, dans les volcans Virunga tandis que les gorilles des plaines de l’est occupent les forêts de montagne d’altitude moyenne de 700 à 2 900 mètres. Les gorilles des plaines de l’Est vivent à la fois dans les forêts primaires et secondaires dans les montagnes et les plaines. Ils occupent des forêts de montagne, de bambous et de plaines avec des altitudes allant de 600 à 3 308 mètres. Les gorilles des plaines de l’ouest habitent en ce qui les concerne des forêts dans les plaines, les marais et les montagnes à des altitudes variant du niveau de la mer à 1 600 mètres.

Les différences importantes des régimes alimentaires entre les gorilles des montagnes, ceux des plaines de l’est et ceux des plaines de l’ouest ont des conséquences sur le comportement social et la taille des domaines vitaux des différentes espèces et sous-espèces.

RDC Gorille male

L’arrivée dans le pays

Bien avant notre départ, nous avons peaufiné notre programme avec Michel de l’agence GoCongo. Une fois en accord sur le prix, nous avons effectué un virement d’une partie des coûts du voyage, aux environs de 400 euros, soit un tiers du prix total, le prix comprenant un chauffeur, l’entrée dans les parcs Virunga et Nyiragongo et la présence constante d’un guide.

Alors que nous nous trouvons au Rwanda, nous envoyons un mail à Michel pour nous donner rendez-vous au poste-frontière dans lequel, nous sympathisons avec une douanière qui souhaite se rendre en France et à qui nous donnons quelques conseils. Au moment où nous quittons le poste-frontière, un des douaniers nous demande un petit bakchich. C’est alors que la douanière intervient en lui hurlant dessus ; face à tant de verves, il baisse la tête et nous laisse tranquille.

Nous retrouvons Michel accompagné de son assistant congolais ; les embrassades sont chaleureuses ; nous sommes heureux d’être en sa compagnie. Immédiatement, nous procédons au change de notre monnaie et nous nous rendons dans notre hôtel que nous payons 25 euros la nuitée, petit-déjeuner inclus.

Nous découvrons ensuite la ville. Au programme, les centres d’intérêts, le marché local ainsi que le haut de la ville qui nous permet de rencontrer de nombreux habitants.

Il nous faut ensuite nous coucher tôt, étant donné que le lendemain le réveil sera matinal.

RDC Transport local
RDC Homme
RDC Couturiere

Le départ

De bon matin, Michel nous rejoint en compagnie de son référent sur le territoire ; nous avons le temps de boire un café sur le pouce, avant de grimper dans la voiture. Nous traversons la ville de Goma, qui de bonne heure est déjà en pleine effervescence. Encore à moitié endormis, les habitants rejoignent le marché local dans lequel les vendeurs tentent de mettre en valeur les fruits qu’ils proposeront à la vente en ce jour.

Après quelques minutes de circulation au travers d’un réseau dense, nous faisons une halte devant une habitation située dans un immeuble aux murs défraîchis ; un militaire armé de sa kalachnikov en bandoulière grimpe dans le véhicule : il s’appelle Mamadou et il sera notre guide durant le trajet qui nous mène dans le parc Virunga.

Il faut dire que le pays en guerre est en état de siège ; les rares touristes ne sortent pas seuls dans la rue par peur d’une mauvaise rencontre voire d’un kidnapping par les nombreuses factions armées présentes sur le territoire.

Il nous faut une heure de route pour rejoindre le parc qui s’étend sur trois pays : le Rwanda, l’Ouganda et le Congo.

Très rapidement, nous quittons la banlieue de la ville de Goma et parcourons une route dont l’état se délabre progressivement au fur et à mesure de notre avancée, quelques maisons dispersées sont construites avec les moyens du bord et sur les bas-côtés, de nombreux petits vendeurs qui proposent des produits d’appoints, dont nombre de morceaux de charbons, seul moyen pour de nombreuses familles de faire cuire leurs aliments.

RDC Paysage

L’enterrement

Alors que nous circulons depuis une bonne demi-heure, balancés parallèlement au cahot de la route, un regroupement dans un petit village attire notre attention. Notre chauffeur s’arrête à ma demande ; je descends du véhicule tandis que Michel ordonne directement au militaire de me suivre. L’homme s’exécute sans réelle motivation. Alors qu’il tente de me rejoindre, je me retrouve déjà au milieu de la foule regroupée pour assister ainsi que me l’explique un villageois : à un enterrement.

Souvent en Afrique, un peu comme dans certaines îles du Pacifique, le passage dans l’au-delà est une fête qui transcende la tristesse de la perte de l’être cher. Regroupés sous une tente, les villageois écoutent en les reprenant en cœur, les chants traditionnels clamés par un groupe de plusieurs artistes, qui se relaient en musique pour permettre à l’âme du défunt de rejoindre sa terre éternelle.

Nous sommes rattrapés finalement par le militaire et partageons durant une bonne heure les festivités ambiantes.

RDC Enterrement

Les rencontres ambulantes durant le trajet

Il est temps pour nous de repartir ; sur le chemin, nous alternons les rencontres ; ici et là avec des vendeurs, voire des agriculteurs, dont un jeune enfant qui s’occupe de sa vache. Nous le rejoignons ; alors que l’animal broute quelques filets d’herbes, l’enfant tente de se protéger comme il peut d’un soleil de plomb.

Un peu plus loin, nous faisons connaissance avec une famille qui élève des chèvres ; le jeune enfant de la famille, attiré par la venue des étrangers que nous sommes, tend ses bras pour être porté, tandis que ses frères et sœurs un peu plus espiègles font semblant de se cacher. Mais le petit bout de nez que l’on aperçoit derrière le mur ne nous trompe pas. Nous buvons un petit thé et passons une bonne vingtaine de minutes dans la petite maison de la famille, avant de reprendre la route.

Progressivement, alors que nous avançons vers notre objectif, le paysage change. Il devient verdoyant. La route impraticable sur laquelle nous nous engageons nous oblige à ralentir. Les forêts se dévoilent et au détour d’une petite bifurcation, l’entrée du parc Virunga, gardé par deux militaires en arme qui nous dirigent vers le parking du centre contenu dans le parc.

L’entrée dans le parc

Nous rejoignons immédiatement une petite cabane dont les murs en béton semblent attaqués par une corrosion provoquée par la lourdeur de la température ambiante ; dans un petit carnet contenant plusieurs noms, un ranger inscrit nos noms.

Étant donné que la découverte des gorilles se fait en petit groupe, une heure fixe de départ est prévue.

En effet, le permis gorille est un permis spécifique proposé aux visiteurs, dans un strict respect des règles d’hygiènes et de sécurité. Après validation et paiement du permis, le rendez-vous dans le parc est fixé à 10 heures le matin, mais le départ ne sera qu’effectif vers 12 h 00.

Nous avons donc une bonne heure devant nous pour découvrir les abords du parc Virunga. Nous rejoignons un restaurant qui se trouve non loin du centre d’accueil des visiteurs ; afin de diversifier ses placements, le parc propose un lodge dans lequel les visiteurs peuvent séjourner ; les visiteurs en ce qui les concerne peuvent avoir accès au restaurant qui propose une cuisine traditionnelle.

Nous sommes amenés par le restaurateur à une petite terrasse en bois et pouvons commander un plat principal : du poulet accompagné de frites. Nous en profitons pour admirer le volcan qui nous fait face et avec en ses contrebas, une plaine constituée d’une petite forêt et d’étendues herbeuses.

Une fois que nous avons fini de manger, nous saluons le restaurateur et rejoignons le guide dans la salle principale du centre, le guide qui nous accompagnera durant notre visite.

La présentation du parc

Nous faisons connaissance avec les quatre personnes avec lesquelles nous partagerons cette expérience ; ces dernières utilisent l’Anglais pour se faire comprendre au grand désarroi du ranger. Étant donné que la langue officielle du pays est le Français, c’est tout naturellement dans cette langue que se fait la présentation du parc ainsi que l’énumération des règles de sécurité. Nous nous occupons de la traduction.

« Aujourd’hui, le parc des Virunga abrite un tiers de la population mondiale des gorilles des montagne qui vivent à l’état sauvage. En outre, le parc comprend le centre Senkwekwe qui accueille les gorilles orphelins, victimes de trafics d’animaux. Il y a un lien très fort qui nous unis avec les gorilles et c’est pour les protéger que vous devrez toujours respecter une distance de sécurité au minimum de 15 mètres, de ne pas avoir de contacts avec les animaux, de porter un masque que je vous fournirai pour ne pas les contaminer et surtout de bien écouter les consignes que je vous donnerai »

Effectuer la rencontre avec les gorilles est un de mes plus vieux rêves, un rêve inaccessible au Rwanda ou en Ouganda où le permis coûte près de 1000 euros, pour une durée de visite de 15 minutes grand maximum. Au Congo, le prix est divisé par deux et le temps de présence est de trente minutes environs, soit le double. Aucune hésitation à choisir ce pays, qui en outre a besoin de fonds afin de faire vivre le nombreux personnel du parc, qui compte essentiellement sur les donations privées et le prix des permis pour fonctionner et financer ses programmes vitaux comme la formation des rangers, le fonds pour les veuves des rangers et le programme des gorilles orphelins. Sans compter le versement des salaires des employés du parc et les frais générés par son fonctionnement.

« Le parc Virunga s’est engagé à respecter les normes les plus élevées en matière de gestions communautaires des ressources du territoire en tenant compte des apports des communautés présentes. Le parc fournit ainsi l’investissement nécessaire pour le bénéfice des 4 millions d’habitants qui vivent dans ses alentours. Le programme porte le nom d’Alliance Virunga »

Le trajet

Accompagnés de deux militaires, nous commençons ce petit trek de deux heures qui va nous conduire au cœur de la forêt, les deux militaires étant assistés de notre guide et d’un pisteur en lien avec d’autres pisteurs qui se trouvent déjà dans la forêt afin de nous guider au plus près des animaux.

En avançant, le guide nous explique que les gorilles se trouvent en totale liberté dans la forêt, mais que les familles présentes ont l’habitude du contact avec les humains. Du moins, ils tolèrent la présence de l’homme.

Sur le chemin, nous croisons de nombreux agriculteurs qui se dirigent dans leurs champs ; le parc les accueille aux abords de la forêt principale en effectuant un travail de sensibilisation : en leur permettant de travailler sur des terres fertiles, ils restent maître de leur destin ; ils peuvent manger et vendre le surplus de nourriture sur les marchés à des prix raisonnables. De cette manière, ils vivent décemment et en sont pas tentés par le braconnage ou le trafic de charbons de bois qui provient des arbres de la forêt, arbres essentiels au maintien de l’habitat des gorilles.

Ainsi, nous rencontrons deux jeunes agriculteurs qui se déplacent en compagnie de leur vache, qu’ils dirigent avec un léger morceau de bois, une branche d’arbre pour être plus précis.

Après une heure de marche, les premiers arbres commencent à apparaître. Deux groupes de personnes travaillent dans les champs ; les groupes sont constitués par sexe, ce qui, nous explique un des membres, est plus facile pour la gestion du personnel.

Alors qu’une femme creuse la terre, un homme dans le champ voisin en retire les mauvaises herbes. Au moment où la femme pose son outil, plusieurs cris marquant la fin des travaux se font entendre. Sagement, les deux groupes, toujours séparés déjeunent. Une femme pose un grand plat au centre des groupes dans lequel tous se servent…sans boire une goutte d’eau, le liquide étant trop difficile à transporter à ces altitudes assez élevées.

« L’habitude » me répètent en cœur les hommes, qui sortent tout de même de leur besace, quelques canettes de bière. « Un petit plaisir » me disent-ils avec le sourire.

Nous rejoignons les deux militaires, toujours aux aguets, puis tous ensemble, nous entrons dans la forêt délimitée du reste du parc par une sorte de petits enclos d’une hauteur assez faible. Cet enclos suffit à décourager les agriculteurs d’y entrer et les gorilles d’en sortir, nous précise-t-on.

RDC Paysannes
RDC Repas entre hommes

La progression dans la forêt

Une des familles de gorilles a été repérée en direction du Nord, à près de trente minutes de marche. Nous avançons d’un pas rapide en tentant de faire le moins de bruit possible. Durant la progression, nous avons tout de même le temps d’admirer la végétation dense de cette forêt impénétrable, un véritable royaume pour les animaux.

Nous entendons ici et là, quelques oiseaux ainsi que des cris stridents qui doivent certainement provenir de quelques singes égarés qui préviennent ainsi les autres animaux de notre présence.

Après trente minutes de marche, nos cœurs battent la chamade. Dans le talkie-walkie, le guide apprend que nous nous approchons d’une famille composée d’un dos argenté alors chef de la meute, de ses épouses, ainsi que d’un jeune fils en pleine force de l’âge et de plusieurs petits, soit près de 11 membres.

Le guide stoppe notre progression et nous remet à tous un masque chirurgical, afin que nous ne contaminions pas la meute. Il avance devant ; nous le suivons.

La rencontre avec le dos argenté

Derrière un arbre, le patriarche est assis, nous regardant fixement. Le guide baisse les yeux en nous demandant de faire de même en guise de soumission. Le silence règne, le moment est unique. A moins de vingt mètres de notre groupe, nous effectuons une rencontre exceptionnelle : le plus proche parent de l’homme, son cousin sur l’arbre phylogénétique, un cousin avec lequel nous avons près de 99,9 % de gènes en commun se trouve face à nous, en totale liberté.

La première impression qui se dégage de ce monstre imposant est un sentiment de respect sans borne. Dans ses yeux, à la différence des gorilles en captivité, une vaillance tranquille, une force sereine. Une impressionnante osmose entre un charisme à toute épreuve et une placidité sans égal. Il est puissant, il le sait, mais il n’en joue pas. Au contraire, après quelques secondes, il baisse également les yeux, signe de notre acceptation.

Sa musculature est impressionnante et son corps à la fourrure blanchie lui donne un côté sage indéniable. Il jette un dernier petit regard vers nous, un peu comme s’il essayait de nous sourire sans y parvenir, ses zygomatique n’étant pas souvent sollicités. Mais sa bienveillance n’a d’égal que sa bonté de nous accepter.

Dans notre groupe, les visiteurs ont les yeux grands ouverts ; ils ne pipent mot dans leur masque un peu trop grand pour eux. Nous suivons le guide qui se rapproche du gorille en partance, un peu comme s’il nous montrait le chemin.

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La rencontre avec la troupe

Après quelques pas, le silence de la forêt est uniquement distrait par le bruit du dos argenté se faufilant sur un chemin en repoussant les branches qui se dressent devant lui. Nous parvenons jusqu’à une sorte de petite clairière naturelle sur laquelle, de nombreuses branches sont couchées, signe que nous nous trouvons sur un des lieux de vie de la meute.

Le guide se tourne vers nous en nous précisant une nouvelle fois du respect indéniable de la distance de 15 mètres au minimum, seule distance permettant d’assurer notre sécurité et celle de la meute.

Devant nous apparaissent alors une, puis deux femelles, dont l’une d’entre elles tient un petit gorille dans ses bras. Le dos argenté se couche, rapidement rejoint par un enfant un peu plus âgé que le bébé tenu dans les bras de la femelle.

Vient alors à notre rencontre un gorille adulte, certainement le fils du dos argenté, qui nous fixe avec un regard insistant, un peu plus belliqueux que celui de l’ancien. Le gorille est encore plus imposant que son aîné, mais son regard comporte un peu plus de fougue et d’arrogance, le symbole d’une jeunesse et d’un apprentissage qui se prolonge.

Notre guide ainsi que les militaires sont toujours agenouillés, le regard baissé. Pour apercevoir ce qui se déroule devant mes yeux, je lève la tête ; le gorille impétueux s’approche dangereusement, rapidement stoppé par un grognement du dos argenté, un peu comme s’il lui disait de nous laisser tranquille.

Une fois que le dos argenté a signé son accord de notre présence, les femelles ainsi que les enfants reprennent leur vie sans se soucier de nous.

Notre groupe, en ce qui le concerne s’éclate, chaque membre souhaitant bénéficier du point de vue le plus dégagé possible.

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Une découverte de leur quotidien

Alors que je me rapproche du dos argenté, je peux découvrir avec précision la vie de la meute. Assis placidement, il se repose durant une bonne dizaine de minutes avant de se saisir de branches dont il mange le centre après en avoir retiré l’écorce.

Le groupe de gorilles présentent alors des activités synchronisées ; une fois que le dos argenté a mangé, vient le tour du reste de la troupe, dont le jeune adulte qui semble grommeler de devoir constamment passer en seconde position.  Mais un simple regard du patriarche suffit à le mettre au pas. Le jeune adulte ainsi refroidi se saisit de quelques branches qu’il dépèce à son tour.

Les gorilles des montagnes sont folivores: ils se nourrissent de feuilles, tiges, moelles, et pousses de buissons herbacés. Le dos argenté se déplace de quelques mètres ; il fouille dans un petit buisson et en récupère avec sélectivité les meilleures feuilles, celles qui lui assureront un niveau élevé en protéines et en fibres. Mais ne trouvant pas son bonheur, il fouille dans la terre afin d’y trouver des pousses tendres.

Une présence un peu trop rapprochée

Alors que nous nous trouvons depuis une bonne vingtaine de minutes au milieu de la meute qui nous a circonscrit, je me délecte de chaque instant que ma mémoire et mon appareil tente de photographier.

Étant donné que nous nous trouvons sur place depuis quelques temps déjà, nous avons l’impression de faire partie de la meute. Par ailleurs, les enfants n’hésitent pas au grand dam de notre guide, à se rapprocher de nous à une distance qui est tout sauf réglementaire.

Sans que je m’y attende, un des petits arrive par derrière et se colle à ma jambe ; je peux sentir le contact de sa fourrure sur mon mollet ; je ne bouge pas. Le dos argenté jette un regard, mais continue de se plonger dans son sous-sol à la recherche de ses pousses.

C’est alors qu’une des femelles se rapproche également de moi, si proche que je peux sentir sur mon visage son souffle chaud.

Pas touche à la femelle !

Le dos argenté se lève promptement et se dirige vers moi en grommelant ; la femelle recule en se saisissant de son petit qui ne pipe mot. A même pas deux mètres de moi, il se frappe sur le torse si fort que j’en ressens encore aujourd’hui les bourdonnements auditifs. Non loin du guide qui devient blanc d’effroi, je baisse la tête comme il me l’avait appris auparavant. Le dos argenté s’éloigne.

Le guide peut respirer. Il me lève la montre qu’il tient au poignet en nous laissant encore quelques minutes, juste assez de temps pour revoir la femelle tenter une nouvelle approche. Je ne la regarde pas.

Pendant ce temps, le dos argenté plonge sa main dans une fourmilière et la ressort emplie de fourmis rouges. Le reste de la meute fait de même. Il est ainsi agréable de voir les gorilles pousser des petits cris, synonymes de petites piqures sur le palais. Mais le met qui est pour eux un dessert est trop délicieux. Ce ne sont pas quelques petites piqures qui vont avoir raison de ces aussi fins gourmets.

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A une troisième reprise, la femelle qui semble s’être entiché de moi tente une nouvelle approche. Toujours devant le désarroi de notre guide, dont le cœur ne pourra pas supporter une telle frayeur une nouvelle fois de plus. Je baisse à nouveau la tête pour lui signifier qu’elle doit s’éloigner. Je ne me vois tout d’abord pas affronter le dos argenté et surtout, je ne me vois pas vivre au cœur de la forêt en compagnie d’une nouvelle femme.

C’est alors que frustrée, le jeune femelle plonge à son tour la main dans une fourmilière puis sans prévenir me jette une poignée de fourmis au visage. Je ne saurai jamais si l’acte était délibéré, mais quoi qu’il en soit, c’est en me grattant le visage attaqué de toutes parts que je quitte la meute.

Un rival de taille

Nous n’avons même pas le temps d’effectuer quelques pas que nous apercevons le jeune adulte tenter une subtilisation de poste en se rapprochant l’air menaçant du dos argenté, qui décidemment passe une journée bien agitée.

Le jeune adulte, sans demander son reste tente de fouiller le sol choisi par le patriarche, un peu comme si l’incartade avec la femelle avait été le prétexte à contrebalancer une fois pour toute l’autorité du chef. C’est le moment ou jamais !

Mais le patriarche n’est pas prêt à laisser sa place à ce jeune freluquet ; il se redresse et frappe sur son torse. Le jeune fait de même. Mal lui en prend !

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Le patriarche le repousse et frappe encore plus fort sur son torse bombé, qui fonctionne comme une caisse de résonnance. Le bruit des impacts de ses poings résonne dans toute la forêt. Les femelles le regardent, des étoiles dans les yeux, le jeune freluquet vient une nouvelle fois de trouver son maître ; il baisse les yeux et tourne les talons. Le dos argenté vient de sauver sa place. Mais pour combien de temps ?

Alors que nous sommes sur le point de partir, il nous jette un dernier regard. Je fais de même et quitte, encore galvanisé par cette rencontre hors du commun, cette partie du monde où un vieux sage…sans dire un mot…m’a permis de vivre un moment qui marquera mon existence à jamais : la rencontre avec mes grands ancêtres, afin de savoir d’où je viens pour savoir où je vais !

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