Comment j’ai pu atterrir dans le cockpit d’un avion de ligne ?

 

Atterrir dans le cockpit d’un avion de ligne est pour certains un rêve, pour d’autres, un fantasme. Aujourd’hui et après les évènements du 11 septembre 2001, cette expérience est encore plus difficile à réaliser. Néanmoins, lorsque le destin s’en mêle, un voyageur peut se voir proposer cette expérimentation qui à coup sûr, procurera des émotions inoubliables. C’est ce qui m’est arrivé en décembre 2018 par un coup du sort dont le destin a le secret.

Décembre 2018. Je me prépare à me rendre en Tunisie, un pays que j’ai visité dans sa partie Nord, il y a près de cinq années.

Je me rends en Tunisie accompagné de ma femme afin d’assister au festival international de Douz, un festival né en 1910 à l’occasion de La Fête du Chameau connue alors pour ces courses de méharis. A partir de 1967, cet événement s’est transformé en Festival National du Sahara puis en 1981 il est devenu international grâce au soutien de l’état Tunisien.

Ce festival est aujourd’hui un vecteur promotionnel touristique important pour le pays avec la mise en avant d’un esprit d’ouverture et de tolérance cher à la population et aux autorités.

Chaque année, le Festival International du Sahara de Douz attire des milliers de touristes Tunisiens mais aussi étrangers. Et c’est pour filmer plus tranquillement ce festival et me rapprocher des artistes, que j’ai contacté l’office du tourisme du pays afin d’obtenir une accréditation. De fil en aiguille, nous avons noué un partenariat et une extension de ma visite du pays en passant par l’île de Djerba ainsi qu’un voyage intense dans le sud tunisien. Avec toutes les accréditations nécessaires pour pouvoir découvrir de manière approfondie cette partie du pays tant exotique.

228 Tunisie Sud

Après avoir pris un train pour rejoindre Paris et réservé un Uber pour nous conduire à l’aéroport d’Orly, nous procédons à l’enregistrement de nos bagages avec la compagnie Tunis air, une compagnie qui comme la Tunisie traîne une mauvaise réputation que je trouve totalement exagérée et injustifiée.

Au comptoir d’enregistrement, l’accueil est courtois et en moins de cinq minutes, nous récupérons nos billets et pouvons franchir les contrôles de sécurité.

Nous tuons le temps comme nous pouvons et sommes appelés à procéder à l’embarquement. Nous patientons encore 20 minutes dans un bus qui nous fait traverser tout le tarmac de l’aéroport pour nous permettre de rejoindre notre avion. Après dix minutes de route, qui nous semblent interminables, nous arrivons en fin de piste ; face à nous, un Boeing 737 qui porte fièrement latéralement les lettres rouges reconnaissables entre mille de Tunis air. L’avion se trouve aux côtés de plusieurs appareils de compagnies low-cost : Transavia, Easy Jet, Ryanair.

Néanmoins, Tunis air n’est pas une compagnie low-cost. Car si les prix pratiqués par la compagnie sont bas, les services présents sur les vols sont de qualité analogue à celle des compagnies nationales européennes, et ce même si la compagnie a fait le choix de supprimer les premières classes de ses vols. Un plateau repas est distribué à bord et les bagages en soute sont autorisés sans supplément de prix.

Juste avant de monter dans l’avion, nous sortons notre téléphone afin d’immortaliser l’avion. C’est alors qu’une femme membre de l’aéroport de Paris se dirige prestement vers nous en nous interdisant de capturer cet instant. Nous avons beau la questionner sur la légitimité de sa demande étant donné que nous ne souhaitons qu’immortaliser l’appareil, mais rien n’y fait. Elle nous a dans sa ligne de mire et ne s’occupe même pas des autres passagers qui en toute pseudo impunité font de même devant elle.

Etant donné que dans le bus, j’ai demandé à un agent de l’aéroport qui nous accompagnait si je pouvais prendre une photo de l’avion et que ce dernier m’avait adoubé, je passe outre cette injonction et prend tout de même ma photo.

En arrivant au sommet de l’escalier portatif, alors que je m’apprête à entrer dans l’avion, un homme portant un gilet rouge et semblant être un officier de liaison de la compagnie au sol me prend à part et me demande ce que voulait l’agent. Je lui explique son injonction m’interdisant de prendre en photo l’avion. Il maugrée alors : « elle commence à être lourde » Il la regarde en contrebas et se retourne vers moi à nouveau : « Ce n’est pas la première fois que nous avons des problèmes avec elle ; écoutez, venez avec moi »

Je ne comprends pas ce qui m’arrive, mais il me prend par le bras et me fait rencontrer le chef de cabine avec lequel il s’exprime en arabe. Le chef de cabine me regarde de bas en haut et acquiesce de la tête. L’agent de liaison de la compagnie m’explique alors : « Elle n’a pas voulu que vous preniez une photo de l’avion. D’accord. Alors, vous allez en prendre du cockpit, directement »

Je suis surpris de la tournure des évènements. L’agent de liaison attend qu’une dizaine de passagers pénètre dans l’avion et me tire par le bras pour m’emmener dans le cockpit où je fais connaissance avec le pilote et son copilote.

 

  • Merci de me permettre de découvrir votre univers de travail. C’est une chance, dis-je en leur serrant la main.
  • C’est normal. Ravi de faire votre connaissance. Vous allez où en Tunisie ?
  • Nous allons d’abord sur Djerba. Ensuite, nous irons dans le Sahara tunisien pour filmer le festival de Douz et celui de Tozeur. Bien entendu, nous allons également visiter les villes et les différentes régions qui se trouveront sur notre parcours.
  • Vous travaillez pour quelle structure ?
  • Nous possédons un Blog, qui s’appelle Hors-frontieres.

 

Le pilote me donne son Ipad, afin que je lui affiche la page de mon Blog. Pendant ce temps, je découvre le cockpit du Boeing 737. Partout, des boutons, des lumières et du bruit. L’environnement est impressionnant. Je sors mon téléphone portable et commence à prendre des photos.

34 Tunisie Djerba

C’est alors que le pilote m’interrompt.

 

  • Mais je connais votre Blog. Il est beaucoup suivi en Tunisie. Nous adorons toutes les photos et les vidéos que vous mettez du monde. Vous voyagez beaucoup.
  • J’essaye au maximum de partager mes expériences et le monde qui m’entoure. Tout en restant toujours sincère et honnête.
  • C’est une chance de vous rencontrer, me dit-il en me resserrant la main.
  • Non, c’est une chance pour moi de faire votre connaissance et de me trouver dans le cockpit.

 

Ce n’était pas la première fois que je découvre le cockpit d’un appareil. La dernière fois, j’avais eu la chance d’assister à l’atterrissage dans un avion de la compagnie Air Greenland. Néanmoins, l’avion était plus petit et l’environnement particulier. Mais c’était la première fois que je pénétrais dans le cockpit d’un avion de ligne traditionnel. Et je n’allais être déçu.

Le temps passant, je salue les pilotes en leur souhaitant un bon vol. Je me dirige ensuite vers mon siège et m’assoit aux côtés de ma compagne en lui expliquant mon expérience. J’assiste aux consignes de sécurité et le vol décolle peu de temps après. Près de trois heures de vol sont nécessaires pour rejoindre Djerba.

Dans l’avion, le repas est servi. Ce n’est pas de la cuisine gastronomique, mais comparé aux autres compagnies nationales avec lesquelles j’ai déjà volé, je trouve que la qualité est similaire. En outre, le personnel est serviable, n’hésitant pas à repasser entre les rangs pour proposer des boissons supplémentaires.

Pour tuer le temps, je m’amuse à filmer mon vol en choisissant avec justesse les différents angles de mes prises de vue. Une fois pour éviter l’aile qui se trouve face à moi, une autre au contraire pour la mettre en valeur.

28 Tunisie Djerba

Il me reste près de deux heures de vol. Je sors ma tablette et mes écouteurs afin de me détendre en regardant un film téléchargé depuis la veille. C’est alors que le chef des stewards m’extirpe de ma léthargie en me tapant sur l’épaule : « Monsieur, désolé de vous déranger mais le pilote souhaite vous voir » Je laisse mon Ipad sur le siège et je me lève en franchissant tel un obstacle, les jambes de mes voisins.

Arrivé en tête d’avion, je me retrouve face à une porte blindée fermée. Le chef de cabine s’adresse au travers de l’interphone aux pilotes. Il tape ensuite un code en le cachant avec sa main sur un boitier qui scelle la porte blindée.

La porte s’ouvre. Je découvre une étendue de blanc aperçue au travers des deux grandes vitres qui me font face. Le pilote se retourne vers moi : « Mon ami, vous passez un bon vol ? »

 

  • Oui, parfait. Nous avons terminé de manger.
  • Vous avez aimé ?
  • Ce n’est pas de la grande gastronomie, mais la nourriture est correcte. Je trouve que Tunis air est une bonne compagnie et qu’elle a une mauvaise réputation qui n’est pas justifiée. Les standards de qualité proposés eu égard aux prix pratiqués la placerait dans la norme haute des compagnies aériennes de la région.
  • Politique, mon ami. C’est politique. Mais je suis content que ça vous plaise. Je vous en prie, asseyez-vous. Nous allons vous mettre un siège pour vous permettre de vivre une belle expérience. De voler avec nous.

 

Je suis stupéfait. Le pilote m’explique qu’il aime mon travail et que pour mon honnêteté dans mes articles, écrits avec un regard optimiste et objectif sur le monde, il souhaite me récompenser en me faisant vivre une expérience unique : assister au vol dans le cockpit et profiter de ce moment particulier de l’atterrissage.

 

  • Puis-je aller chercher mon sac et ma caméra ?
  • Le travail, toujours le travail me dit-il avec un sourire en coin.
  • C’est important de pouvoir le faire partager.
  • Bien entendu, mon ami.

 

Je sors du cockpit et préviens le steward que je dois aller récupérer mon sac. Il m’accompagne. Je sors ma caméra et range mes affaires qui trainaient sur le siège tout en expliquant à ma femme la raison de mon départ. Je retourne devant la porte blindée que le steward ouvre à nouveau après s’être adressé au pilote. Je pénètre pour la troisième fois dans le cockpit.

A ce moment, le steward débloque un siège modulable dont il en sort une partie de derrière le mur de séparation d’avec la cabine. Je m’assois et pose mon sac devant mes jambes.  Le steward finalise la mise en place de ce troisième siège en insérant dans des cliquetis de l’assise un dossier métallique qu’il récupère je ne sais où. J’attache ma ceinture et découvre sans parler cet environnement particulier.

31 Tunisie Djerba
32 Tunisie Djerba

Les centaines de jauges et de boutons présents devant moi me font tourner la tête ; je ne sais que regarder. Mon regard est attiré irrémédiablement vers les deux pare-brise qui laissent dévoiler une étendue blanche constituée par de grands nuages mais les nombreux bruits provoqués par les nombreux appareils présents brisent la bulle dans laquelle je me trouve.

37 Tunisie Djerba

Juste au-dessus de ma tête, des chiffres nous indiquent notre altitude. Le pilote m’extraie de mon analyse de ces chiffres en me présentant des photographies de l’île de Djerba dans laquelle il vit. A ses heures perdues, il est photographe et je dois dire qu’il se débrouille bien. Défilent devant moi sur sa tablette, des photos de pêcheurs, de monuments et de street-art.

Le co-pilote, son cadet d’une vingtaine d’années prend également connaissance des photos de son supérieur hiérarchique. Extatique, il semble les voir pour la première fois.

Alors que dans l’avion, le temps s’écoule souvent lentement, relativité de la perception oblige, dans le cockpit, les minutes défilent furtivement. Près de deux heures viennent de passer. Les pilotes me préviennent qu’ils vont commencer les manœuvres d’atterrissage. Ils se saisissent du manifeste du vol et commencent à appuyer sur plusieurs boutons que je ne parviendrai pas à nommer. Quoi qu’il en soit, l’avion commence une descente au fur et à mesure de laquelle avec une pure proportionnalité, les chiffres indiquant l’altitude baissent, ainsi que d’autres chiffres présents sur le tableau de bord. A plusieurs reprises, le pilote joue avec un bouton qui se trouve face à lui.

36 Tunisie Djerba

Aux côtés du manche qui se situe en plein milieu du cockpit, plusieurs roues tournent rapidement.

La piste de l’aéroport de Djerba apparaît après une énième descente. Le pilote se retourne vers moi : « Vous êtes bien attaché ? » J’acquiesce sans répondre, ne souhaitant pas perdre une miette de cet atterrissage.

38 Tunisie Djerba

En anglais, au travers des haut-parleurs, une voix robotisée annonce l’altitude qui baisse : « 400, 300, 200, 100 » La piste est maintenant bien visible : « Eighty, seventy, sixty, fifty, forty, thirty, twenty »

Le dernier nombre prononcé est le : « ten » Le décompte jusqu’à zéro n’aura pas lieu. L’avion semble rester en suspension dans les airs durant plusieurs secondes, alors que je m’attends à toucher le sol. Après un instant qui semble suspendre le cours du temps, les roues touchent le sol. Du cockpit, nous entendons les bruits étouffés de satisfaction des passagers, un peu comme si tous applaudissaient les pilotes d’avoir réussi à les maintenir en vie.

Les pilotes ralentissent l’avion ; les freins font leur œuvre dans un brouhaha tonitruant. Je regarde alors le pilote. Il a un large sourire, tout comme le co-pilote. L’air satisfait d’avoir un vol de plus à leur actif.

Les pilotes relâchent la pression alors qu’ils conduisent l’avion au plus près des terminaux, guidés au sol par un agent technique vêtu d’un gilet orange qui manie deux bâtons au travers d’une danse sortie tout droit d’un jeu vidéo. L’avion arrête sa course à quelques mètres de l’agent, qui baisse ses deux bâtons. Le pilote arrête l’appareil.

Je viens de vivre un moment unique. Mon taux d’adrénaline est à son maximum. Mes sens sont en éveil. Je salue les pilote en les remerciant chaleureusement et leur promet que je partagerai cette expérience avec mes lecteurs.

 

  • Hâte de vous lire, terminent-ils en redressant leurs lunettes de soleil.

 

Le steward ouvre la porte et démonte mon siège afin que je sorte du cockpit. Je rejoins les passagers qui patientent en attendant l’ouverture de la porte. Tous me regardent en se demandant ce que je faisais là. Je récupère par le biais du steward le reste de mes affaires placées dans les compartiments bagages ; la porte s’ouvre. Je fais connaissance avec Djerba. Au haut de l’escalator mobile, je regarde vers le ciel, un petit sourire en coin. Pour sûr, je me souviendrai longtemps de ce vol.